Le requérant est un ressortissant italien condamné en 1992 par coutumace par une cour d'appel italienne à 30 ans de réclusion. En 2014, il a été arrêté en Allemagne, sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen émis par l'Italie. Pendant la procédure d'extradition, il a notamment allégué que la procédure pénale italienne ne lui ouvrait pas la possibilité de faire valoir de nouveaux moyens de preuves. La Cour d'appel de Düsseldorf saisie de cette question a néanmoins estimé que l'extradition devait être accordée. Cette décision a été déférée au contrôle de la Cour constitutionnelle fédérale qui a considéré que la décision de la Cour d'appel portait atteinte aux droits que le requérant tire de l'article 1 alinéa 1 de la Loi fondamentale, qui pose le principe de l'intangibilité de la dignité de l'être humain et met à charge des pouvoirs publics l'obligation d'en assurer le respect et la protection.
La Cour constitutionnelle rappelle que la primauté du droit de l'Union européenne implique que les actes de cette dernière, comme ceux des pouvoirs publics allemands pris sur le fondement du droit de l'Union européenne échappent, en principe, au contrôle de constitutionnalité. Toutefois, le principe de primauté ne saurait s'impliquer qu'aux seules compétences que la Loi fondamentale et la loi approuvant la ratification du traité ont entendu transférer. En outre, il trouve ses limites dans l'existence d'une
identité constitutionnelle qui ne peut être remise en cause ni par une révision de la Constitution, ni par une intégration. Il incombe à la Cour constitutionnelle de contrôler qu'il n'est pas porté atteinte à cette identité. Ce contrôle peut- à l'instar de celui portant sur un éventuel caractère
ultra vires des actes des institutions de l'union-avoir pour conséquence qu'un petit nombre d'actes de l'union européenne soient déclarés inapplicables en Allemagne. Toutefois, en application du principe selon lequel le droit doit être interprété dans un esprit d'ouverture au droit de l'Union (
freundliche Auslegung), une interprétation "ouverte" des articles précités de la Loi fondamentale impose que le contrôle des atteintes à l'identité constitutionnelle soit réservé à la Cour constitutionnelle fédérale, afin d'éviter que les juridictions et les pouvoirs publics ne fassent, par ce biais, obstacle à l'autorité du droit de l'Union.
La Cour s'emploie à désamorcer d'éventuelles critiques, en affirmant que ce contrôle est compatible avec le principe de loyauté à l'égard du droit de l'Union. Reprenant la formule utilisée dans sa décision sur le traité de Lisbonne, elle rappelle que l'Union européenne, association d'Etats, trouve son fondement dans des traités dont les Etats membres sont les maîtres (
Herren der Verträge). A ce titre, il leur appartient de décider, par des dispositions nationales (
Geltungsanordnungen), de permettre aux actes de l'union de produire des effets dans l'ordre interne et d'y bénéficier de la primauté. La Cour est d'avis que la loyauté et contrôle du respect de l'identité constitutionnelle sont compatibles. Elle fait observer que sa démarche n'a rien de singulier, dans la mesure où le droit constitutionnel d'un grand nombre d'Etats de l'Union comporte des dispositions destinées à protéger leur identité constitutionnelle et à limiter les transferts de souveraineté au profit de l'Union européenne. Elle souligne qu'en tout état de cause la constatation qu'une mesure de droit européen ne peut être appliquée en Allemagne ne saurait être qu'exceptionnelle. Les exigences particulièrement élevées auxquelles elle soumet la recevabilité de requêtes dirigées contre de telles mesures garantissent, selon elle, ce caractère exceptionnel et illustrent donc le principe selon lequel le contrôle de l'identité constitutionnelle doit, pour garantir l'unité d'application du droit de l'Union, s'exercer dans la retenue et dans un esprit d'ouverture à ce droit. Faisant allusion à sa décision OMT-par laquelle elle a, pour la première fois de son histoire, sollicité l'interprétation de la CJUE, en lui soumettant la question de la compatibilité aux traités de la décision de la BCE de racheter de la dette publique grecque sur le marché secondaire-la Cour note qu'elle exercera son contrôle, en se référant,
en tant que de besoin, aux principes d'interprétation qui
lui ont été fournis par la Cour de justice dans le cadre d'une question préjudicielle.
Se penchant ensuite sur le cas d'espèce, la Cour affirme, en premier lieu, que la protection de la dignité humaine fait partie des valeurs constitutives de l'identité constitutionnelle pour examiner, dans un second temps, si les circonstances de l'affaire révèlent l'existence d'une violation concrète.
A titre préliminaire, la Cour observe qu'une extradition intervenant pour l'exécution d'une condamnation par coutumace est, par nature, susceptible de porter atteinte à l'exigence constitutionnelle de respect de la dignité humaine ainsi qu'au principe de l'Etat de droit. Le droit pénal allemand reposant sur le principe dit de "la culpabilité de l'accusé" (
Schuldprinzip), sa démonstration-devant les juridictions d'un Etat de droit respectant la dignité humaine-présuppose que l'accusé soit à même de présenter les éléments susceptibles de l'innocenter ou, tout du moins, d'alléger sa peine. Enfin, l'évaluation du quantum de la peine implique la prise en compte de la personnalité de l'auteur des faits et par là-même sa présence lors du procès. La Cour en déduit que la juridiction saisie d'une demande d'extradition est tenue, en application de l'exigence constitutionnelle de respect de la dignité humaine, de faire la lumière sur ce qui attend la personne extradée dans l'Etat de remise. Si elle reconnaît que le principe de confiance réciproque qui sous-tend la procédure d'extradition entre Etats membres permet de faire l'économie d'une analyse exhaustive des garanties qu'offre le droit de l'Etat de destination, elle juge que ce postulat est remis en cause dès lors qu'existent des raisons de penser que des exigences impérieuses de respect des droits fondamentaux pourraient être méconnues si l'extradition était accordée. Lorsque la personne visée par l'extradition démontre à suffisance qu'un tel risque existe, la juridiction est tenue de procéder à des recherches sur la situation légale et la pratique juridictionnelle dans un Etat de remise. L'étendue de ces recherches sera fonction de la gravité de l'atteinte potentielle à la dignité humaine, les éléments d'information fournis par la personne menacée d'extradition permettant d'apprécier ce degré de gravité.
Nonobstant le fait que la Cour d'appel de Düsseldorf a pris sa décision en application du droit de l'union, la Cour constitutionnelle se déclare donc tenue d'exercer un contrôle restreint de cette décision dont elle précise qu'il se limitera à vérifier si elle offre les garanties procédurales minimales exigibles et qu'elle justifie par le fait que le "principe de culpabilité" fait partie du noyau dur des compétences intransférables. La Cour reconnaît que la Décision-cadre sur le mandat d'arrêt européen prime, en principe, sur le droit interne et note qu'elle intègre une réglementation détaillée sur les extraditions faisant suite à un jugement rendu par coutumace. Elle considère toutefois que ceci ne dispense pas pour autant la Cour d'appel de l'obligation de s'assurer que les mêmes extraditions fondées sur un mandat d'arrêt européen ne dérogent pas à l'exigence de respect de la dignité humaine et donc au "principe de culpabilité".
Dans les circonstances de l'espèce soumise à son contrôle, la Cour constitutionnelle est d'avis qu'il n'est pas nécessaire de se référer aux limites constitutionnelles qui permettent de faire échec à la primauté du droit européen. En effet, les mécanismes de la Décision-cadre permettent, selon elle, d'assurer une garantie des droits de la personne visée par l'extradition qui soit conforme aux exigences posées par la Loi fondamentale. L'article 4 bis (alinéa 1,d),i)) de la Décision-cadre dispose, en effet, que l'extradition peut être refusée après un jugement par coutumace, sauf à ce que l'intéressé soit expressément informé, après la remise, de son droit à une nouvelle procédure de jugement ou d'appel, à laquelle il puisse participer et qui permette de réexaminer l'affaire au fond, en tenant compte de nouveaux éléments de preuve et susceptible d'aboutir à une infirmation de la décision initiale.
La Cour précise toutefois que, nonobstant le principe de confiance mutuelle, les juridictions nationales ne sauraient se satisfaire d'affirmations rassurantes quant à l'existence de la procédure en question mais qu'elles doivent-dès lors qu'il existe des raisons de douter de leur exactitude-se livrer à des vérifications , pour autant que cette démarche n'ait pas pour effet d'ôter toute efficacité au système du mandat d'arrêt européen. Une telle démarche n'est, selon la Cour, pas contraire au droit de l'Union. Elle permet, en effet, de garantir que les exigences posées par ce dernier ne sont pas en deçà des garanties minimum des droits de l'accusé assurées par la Loi fondamentale. En l'espèce, la Cour juge que le requérant a apporté la démonstration que le droit italien ne lui ouvrait pas la possibilité d'un nouvel examen exhaustif des moyens de preuves. Elle fait grief à l'arrêt de la Cour d'appel de s'être contenté d'affirmer qu'une telle éventualité n'était pas exclue et renvoie l'affaire devant elle.
La Cour considère par ailleurs qu'il n'est pas nécessaire de saisir la CJUE d'une question préjudicielle, dans la mesure où il n'existe aucun doute raisonnable quant à la manière dont le droit de l'Union doit être appliqué.