Le présent numéro des Études et documents du Centre d’études juridiques françaises (EDCEJF) était consacré à la publication de la traduction du « Bundesverfassungsgerichtsgesetz ».

Cette traduction est ici proposée au format PDF texte.

Présentation:

L’affirmation renforcée des droits de l’homme et, corrélativement, leur protection par la justice constitutionnelle constitue le phénomène le plus marquant du droit constitutionnel contemporain, au point que les récentes assises de l’association internationale de droit constitutionnel ont pu y voir la caractéristique essentielle d’un droit constitutionnel nouveau.

Lorsque la doctrine française contemporaine a commencé à prendre conscience des potentialités de la justice constitutionnelle, elle a suivi très naturellement la trace naguère ouverte  par  Charles Eisenmann et tourné ses regards de manière privilégiée vers la Cour constitutionnelle fédérale établie par les articles 93 et 94 de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne. Diverses monographies, au premier rang desquelles an doit placer la thèse de M. Pierre Chenut (1956) et l’ouvrage de M. Jean-Claude Béguin (1982), ainsi que de multiples rapports et communications à l’occasion de colloques organisés le plus souvent sous l’inlassable impulsion du Président Louis Favoreu (on pense notamment aux rapports présentés par les professeurs Klaus Schlaich et Hans-G. Rupp au colloque des 19-21 février 1981 à Aix-en-Provence) ont permis aux lecteurs de langue française de se familiariser avec las procédures et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale.

On ne disposait malheureusement plus de traduction accessible de la loi du 12 mars 1951, prise en application de 1’article 94 alinéa 2 de la Loi fondamentale, pour régler l’organisation de la Cour, sa procédure ainsi que les cas dans lesquels ses décisions ont force de loi. Seuls quelques initiés possèdent encore le texte polycopié de la traduction établie en 1974 d’après le texte en vigueur au 3 février 1971 par Mlle Viviane Ernst et M. E. Haug-Adrion sous l’égide de l’Institut de droit comparé de Strasbourg et du Centre français de droit comparé. On ne trouvait guère par ailleurs que quelques articles isolés de la loi, par exemple en annexe à la contribution de M. Scheuing aux Mélanges Sayagués Laso ou, à une date plus récente, la traduction de Mme Constance Grewe dans le Que-sais-je rassemblant quelques textes constitutionnels étrangers.

Deux circonstances nous ont incité à établir et présenter cette nouvelle traduction.

Une loi du 12 décembre 1985 modifiant tout à la fois la loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale et la loi relative aux juges allemands est venue apporter à partir du l er janvier 1986 des modifications substantielles et des nouveautés importantes à la procédure applicable devant la juridiction constitutionnelle de la République fédérale, notamment en ce qui concerne les règles de quorum dans chaque chambre (remplacement des juges, tirage au sort), les règles relatives aux frais de procédure (provision pour frais, pénalités en cas de rejet du recours, aggravées en cas de recours abusif), aménagement de la procédure d’admission des recours constitutionnels et institutionnalisation, sous la forme de « sections », des anciennes commissions de trois juges chargées de se prononcer sur l’admission des recours. Si l’on ajoute que le règlement intérieur de la Cour a été modifié à effet du l er janvier 1987 pour être mis en conformité avec las dispositions de la nouvelle loi, il est clair que les novations introduites justifiaient elles seules une actualisation des matériaux disponibles en langue française.

De l’actualisation à la refonte, il restait néanmoins un pas à franchir, auquel nous avons été incité par la réalisation au cours du printemps de l’année 1987 d’une nouvelle traduction de la Loi fondamentale, par une équipe à laquelle participaient nos collègues Jean-François Flauss, Michel Fromont, Constance Grewe, Pierre Koenig et Alfred Rieg. La mise au point à cette occasion d’une terminologie longuement concertée, qui a fait l’objet du glossaire publié dans le premier cahier de la présente collection, imposait d’étendre l’emploi de cette terminologie à l’édition française de la loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale, afin d’élargir immédiatement le corpus des textes disponibles selon des conventions terminologiques uniformes et de réduire le risque de « babélisation » des études de droit allemand en langue française.

Ce souci d’introduire une certaine cohérence dans la terminologie utilisée pour présenter le droit allemand en langue française nous a conduit à reprendre également les conventions da traduction uniforme des dénominations des juridictions de la République fédérale d’Allemagne préconisées en 1974 par le ministère fédéral des Affaires étrangères et le ministère fédéral de la Justice (Cf. RFDA 1985, 268), comme le firent MM. Fromont et Rieg dans leur introduction au droit allemand. Il est vrai que certaines des expressions proposées ne sont pas entièrement satisfaisantes, notamment pour ce qui concerne les juridictions sociales. Si, de concert avec nos collègues Fromont et Rieg, nous nous sommes néanmoins résolus à les utiliser systématiquement c’est parce que nous sommes convaincus que la diffusion de la connaissance du droit allemand dans les pays de langue française impose une certaine discipline, indispensable pour ne pas dérouter inutilement les étudiants et, a fortiori, les simples lecteurs et utilisateurs. A vrai dire, cette discipline est bien légère au regard de la cacophonie qu’elle permet d’éviter !

A ce chapitre de la terminologie, nous devons attirer l’attention du lecteur sur deux choix qui ont été effectués, et qui sont assez représentatifs des difficultés bien connues de ceux qui ont acquis l’expérience de la traduction juridique.

La première est une difficulté proprement juridique. Dans man avant-propos à la traduction du traité de droit administratif allemand d’Ernst Forsthoff, M. Fromont signalait les hypothèses dans lesquelles le droit allemand a élaboré des distinctions sans équivalent en droit français. « La difficulté est alors double, car il convient de trouver deux termes français qui rendent compte ci possible de cette opposition ». Il en est ainsi de la distinction introduite depuis 1963 dans la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale entre les décisions de justice rendues à la suite d’une audience orale, et celles qui sont prises sans audience orale. Nous avons repris à cet endroit le choix terminologique effectué par M. Jean-Claude Béguin dans l’ouvrage qu’il a consacré au contrôle de la constitutionnalité des lois en République fédérale d’Allemagne. Au § 25 de la loi, la décision rendue sur audience orale est appelée « jugement » (Urteil), celle rendue sans audience orale est intitulée « arrêt » (Beschluß). Nous avions dans le passe utilisé le terme « ordonnance » dans cette dernière hypothèse, mais nous nous rallions bien volontiers à la terminologie usitée dans l’ouvrage de référence qu’est devenue la thèse de M. Béguin.

La seconde difficulté a été provoquée par l’institutionnalisation des anciennes commissions tripartites d’admission des recours, au § 15 a de la loi, sous le nom de « Kammer ». Or nous sommes accoutumés de longue date à dire que la Cour constitutionnelle fédérale comprend deux chambres (§ 2), le terme « chambre » venant spontanément sous la plume du juriste français pour traduire le terme « Senat », qu’il paraît ridicule de transposer comme ont le fait parfois par « sénat ». Au surplus, l’appellation « chambre » est si régulièrement employée (Fromont/Rieg, Introduction au droit allemand; Béguin, op. cit., et bien d’autres) qu’il n’est plus possible de s’en écarter. Il est malencontreux pour le traducteur français que la traduction intuitive de « Kammer » soit ´également « chambre ». Après quelques hésitations, et au mépris de toute logique linguistique, nous avons décidé de rendre « Kammer » dans ce contexte par « section », ce choix ayant sa logique dans la terminologie judiciaire française, même s’il peut surprendre le linguiste [Entre la logique du linguiste et la logique du juriste-linguiste, il peut y avoir des abîmes, et les juristes ont la faiblesse de croire que la seconde doit l’emporter quand il s’agit de traduction juridique. Nous continuons à penser que, en l’état actuel de la construction européenne, il peut être criminel de confier à de purs traducteurs linguistes ou à un quelconque bureau linguistique la responsabilité de traductions juridiques!]. Nous avons eu le plaisir de constater à l’issue de la traduction de la présente loi que, confronte à la même difficulté dans la première édition de ses « grands systèmes de droit contemporain » (Paris : Dalloz 1987), M. Michel Fromont a instinctivement adopté la même traduction, ce qui fait que le texte ici proposé reste cohérent avec le dernier ouvrage du maître dont nous aimons à rappeler qu’il fut jadis le premier titulaire de la chaire de droit public français à l’Université de la Sarre.

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Christian Autexier