Le présent numéro des cahiers juridiques franco-allemands « l’Allemagne à la télévision française en 1984 » est écrit par Henri Ménudier.
Cette oeuvre est ici proposée au format PDF texte.
Introduction
La télévision prend une place si importante dans la vie des individus comme instrument d’information, de distraction et de culture, qu’il est légitime de s’interroger sur la contribution qu’elle apporte à la connaissance des pays étrangers et, en l’occurrence, de l’Allemagne, le principal partenaire de la France en Europe. Il est relativement facile de repérer dans les programmes de la télévision les différentes émissions qui se rapportent à ce pays. Elles se répartissent en quatre groupes : l’Allemagne avant 1945, la culture allemande traditionnelle, la République fédérale d’Allemagne et la République démocratique allemande. Une étude détaillée des sondages, qui n’a pas été entreprise ici, permettrait de répondre à la question : Qui a regardé quoi et quand ? Une autre question essentielle reste sans réponse : Comment ces différentes émissions ont-elles été perçues par les téléspectateurs et quelle influence exercent-elles sur l’image qu’ils se font de l’Allemagne ? Cette étude se bornera à repérer et à classer les émissions en rapport avec l’Allemagne offertes aux téléspectateurs français en 1984. Le programme de la quatrième chaîne « Canal Plus », qui a commencé è émettre le 4 novembre 1984 à 8 heures du matin, n’est pas pris en considération. Un examen rapide des émissions révèle d’ailleurs que l’Allemagne en a été presque totalement absente, du moins pour les deux derniers mois de 1984. Le public touché par « Canal Plus » reste limité en comparaison avec celui des trois autres chaînes.
Etude des programmes
Une étude détaillée des programmes de 1984 montre, une fois encore, qu’en dehors des informations qui passent dans les divers journaux télévisés, l’Allemagne est surtout présente è travers deux thèmes à la télévision française : la guerre et la musique. Les chiffres ne sont pas faciles à comparer et certains classements peuvent prêter è contestation. Une première répartition donne les chiffres suivants :
Émissions sur l’Allemagne avant 1945: 84
Culture allemande : 159
République fédérale d’Allemagne : 24
République démocratique allemande: 1
268 émissions en 1984
Le chiffre des émissions sur l’Allemagne avant 1945 passe tout de suite è 121 si on calcule en termes d’épisodes car ces feuilletons ou des séries, comptés pour une seule émission, passent en plusieurs parties. Du 14 juillet au 8 septembre, TF1 a évoqué chaque jour, autour de midi, les évènements de la Libération de la France. Ce bulletin de 5 à 10 minutes a été répété 57 fois. Il n’a été comptabilisé au départ que pour une seule émission. Si on ajoute ces 57 bulletins quotidiens aux 11 épisodes déjà indiqués, on atteint ainsi le chiffre de 177. En d’autres termes, l’Allemagne avant 1945, et principalement le IIIème Reich, ont été évoqués au moins 177 fois à la télévision française en 1984, en dehors des journaux télévisés- presque un jour sur deux.
Une autre pondération devrait porter sur la durée des émissions. Le nombre d’émissions sur la culture allemande est élevé (159) en raison du grand nombre d’émission musicales; 109 ont été programmées par FR3 qui termine presque quotidiennement son programme nocturne par une œuvre musicale qui dure entre 10 et 20 minutes. En additionnant la durée de toutes les émissions sur l’Allemagne avant 1945, on constaterait facilement que celle-ci dépasse de beaucoup le temps total des émissions musicales et culturelles. Selon toute vraisemblance, le nombre de téléspectateurs touché par les émissions sur l’Allemagne avant 1945 est plus élevé que le nombre des téléspectateurs qui regardent les émissions musicales et culturelles. Les premières passent fréquemment aux meilleures heures de programmation, les émissions culturelles ne sont souvent diffusées qu’ a des heures tardives, avec un public plus réduit. Tous ces éléments concourent è renforcer la place des émissions sur l’Allemagne avant 1945.
Le contenu des émissions sur l’Allemagne ne se modifie guère d’une année sur l’autre :
- toujours une très forte présence de l’Allemagne guerrière (principalement de la seconde guerre mondiale ; le 80ème anniversaire du début de la première guerre mondiale et le 40ème anniversaire de la Libération de la France ont accusé cette tendance en 1984),
- une présence fréquente de la musique, surtout sous forme de concerts assez courts,
- sous ses autres formes, la culture allemande reste assez ignorée,
- en dehors des informations données dans le cadre des journaux télévisés (dont le contenu n’est pas analysé ici), la République fédérale d’Allemagne se manifeste à travers quelques films dus aux jeunes cinéastes et à quelques sujets traités par les émissions magazines – le bilan pour la République fédérale d’Allemagne est assez décevant et ne correspond pas au niveau de la coopération politique et économique avec la France,
- la République démocratique allemande n’apparaît presque jamais dans les programmes de la télévision.
Une fois de plus se pose le problème de la contribution équilibrée et diversifiée de la télévision française à la connaissance de notre principal partenaire en Europe.
Guerre et musique
Le hasard des programmes mal harmonisés fait que certains jours les téléspectateurs français peuvent suivre pendant des heures les différentes guerres auxquelles l’Allemagne a participé. Le dimanche 29 avril 1984, TF1 propose ainsi de 18 à 19 heures la dernière partie du feuilleton sur Eisenhower (Ike), avec le Général Patton dans la bataille des Ardennes. De 20h35 à 22h40, la même chaîne propose Monsieur Klein, un film de Joseph Losey (1976) sur l’engrenage de la persécution contre les Juifs à Paris en 1942. Le même jour, de 10h à 18h55, A2 diffuse Un printemps 42, le procès fait par un tribunal militaire allemand à Paris contre 25 résistants français, tous condamnés à mort. De 22h30 à 23h55, FR3 passe Mata-Hari, film américain de George Fritzmaurice sur une histoire d’espionnage célèbre, au profit de l’Allemagne, pendant la première guerre mondiale.
TF1 : 18h00 – 18h55 : Ike (feuilleton, épisode: Les Ardennes)
: 20h35 – 22h40 : Monsieur Klein
A2 : 18h00 – 18h55 : Un printemps
FR3 : 22h30 – 23h55 : Mata-Hari
Antenne 2 réserve toute une soirée à la guerre le 25 mai. A 20h35 passe le troisième épisode du feuilleton Les Cerfs-volants, tiré du roman de Romain Gary (les réactions de plusieurs familles dans un village normand occupé en 1940 par les Allemand). La même chaîne offre à 23h05 Les bourreaux meurent aussi, de Fritz Lang (1942), film inspiré de l’assassinat de Heydrich, en Tchécoslovaquie. A 23h15, FR3 faisait découvrir un autre aspect de l’Allemagne avec, dans la série « Prélude à la nuit », L’ouverture de Guillaume Tell, de Rossini, interprété par l’Orchestre philharmonique de Berlin, sous la direction d’Herbert von Karajan.
A2 : 20h35 – 21h40 : Les cerfs volants (feuilleton)
: 23h05 – 0h05 : Les bourreaux meurent aussi
FR3 : 23h15 : Ouverture de Guillaume Tell
Le 40ème anniversaire du débarquement de Normandie et de la Libération de la France a naturellement donné lieu è de nombreuses émissions. Dès le 3 juin, le Magazine de TF1 « Sept sur Sept » organise à Sainte-Mère-Eglise une rencontre entre un Allemand, un Américain et un Français qui se trouvaient dans cette localité proche des plages normandes, le 6 juin 1944. A 20h35, A2 proposait Le Mur de l’Atlantique, de Marcel Camus, avec Bourvil et Sophie Desmarets (un restaurateur normand pantouflard se trouve mêlé à la Résistance en subtilisant le plan du « Mur de l’Atlantique »).
TF1 a organisé sa soirée « D Day » le 5 juin avec, à 20h35, Opération Fortitude (une enquête sur la ruse mise au point par les Anglais et les Américains pour tromper les Allemands lors du débarquement), à 21h45 Libération Blues (émission de J. C. Averty, avec les chansons de 1944) et « D Day » (des documents cinématographiques sur les différentes étapes du débarquement). Le même soir, A2 propose à 20h40 un film de Samuel Fuller, Au delà de la gloire (1979), qui retrace l’épopée de cinq soldats lancé dans le conflit. Ce film, qui passe dans la série des « Dossiers de l’écran », est suivi d’un débat sur le 40ème anniversaire du débarquement.
Les cérémonies du 6 juin en Normandie sont « couvertes » par FR 3 et A2. FR3 propose un programme continu de 7h à 14h55, avec reportages et documents, A2 prend le relais de 14h20 à 19h05 avec la retransmission des cérémonies auxquelles participent Ronald Reagan, la Reine Elisabeth, François Mitterand et P. E. Trudeau. Le débarquement continue le 7 juin avec Le débarquement, j’y étais, dans le cadre de l’émission « Aujourd’hui la vie » è A2, de 13h50 à 14h55. Le 9 juin, TF1 propose le téléfilm La falaise de la Liberté (l’histoire d’un couple breton qui réussit en 1941 è rejoindre l’Angleterre). TF 1 commence le 11 juin à 17h45 la rediffusion de son feuilleton en treize épisodes quand la liberté venait du ciel, suivi à 0h35, toujours sur TF1, du film français d’Alexandre Esway, Bataillon du ciel, 1946, sur l’entraînement des parachutistes des Forces Françaises Libres en Angleterre (deuxième partie le 18 juin).
Autre coïncidence insolite. Le jeudi 14 juin, TF1 poursuit la diffusion de son feuilleton Quand la liberté venait du ciel (les aviateurs alliés pendant la guerre). A2 retransmet à 17h00 la rencontre de football entre la République fédérale d’Allemagne et le Portugal qui se déroule à Strasbourg. A 21h40, toujours sur A2, Alain Decaux raconte l’histoire des Taxis de le Marne qui ont joué un rôle essentiel pendant la première guerre. La guerre revit le 6 août à 20h35 sur TF1 avec Les maudits, film de René Clément, de 1946 (les tentatives de fuite des nazis A la fin de la guerre). A 22h20, A2 évoque le début de la première guerre mondiale 70 ans plus tôt.
La dernière vague des émissions sur la .guerre se produit fin août avec le 40ème anniversaire de la Libération de Paris. En novembre, les émissions qui rappellent traditionnellement la première guerre mondiale et les épisodes de plusieurs feuilletons tissent de nouveau un filet aux mailles serrées pour évoquer les deux guerres. Le 13 novembre, à 21h25, une émission porte sur La nuits des longs couteaux ; aussitôt après à 23h10, la même chaîne, TF1, donne Le concerto pour piano de Robert Schumann, joué par l’Orchestre de Paris. Bien d’autres exemples pourraient être cités pour montrer que l’Allemagne, comme Janus, se manifeste souvent sous un double visage, celui de la guerre et celui de la musique.