Le présent cahier juridique traite de « l’Europe et la souveraineté des Etats », écrit par François Luchaire.

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Introduction:

Je remercie tous ceux qui sont présents; je suis heureux de voir un ancien collègue de Sarrebruck, Monsieur Aubin. Je remercie Madame le Consul général et vous tous qui êtes là aujourd’hui parce que cela me replonge bien des années en arrière. Cela me rappelle ma jeunesse et, en vous regardant, j’ai l’impression encore d’être un peu jeune. Merci !
Que sera l’Europe en l’an 2000 ? Dans presque tous les Etats de la Communauté il y a une contestation. Les adversaires de la construction européenne comme ceux moins déclarés, mais souvent plus efficaces, que j’appellerai les « Eurosceptiques », affirment que la Communauté européenne ne peut plus s’affermir, ne peut plus se développer, car elle s’oppose à la souveraineté nationale. A l’inverse, les « Europtimistes » désirent que la construction européenne progresse en dépit du principe de la souveraineté nationale. La contestation existe, mais personnellement, je ne crois pas qu’elle puisse modifier l’avenir de l’Europe. Certes, le succès des uns plutôt que des autres peut avoir pour résultat tantôt de retarder, tantôt d’accélérer l’épanouissement de la construction européenne; mais de toute façon l’Europe se construira, car c’est pour les peuples une nécessité absolue dont chacun a parfaitement conscience. C’est pour les peuples européens une contrainte; il n’est pas possible d’arrêter le cours de l’histoire.
C’est un peu ce que je voudrais essayer de démontrer: la souveraineté des Etats est certes un obstacle, mais les nations n’hésitent pas à démanteler cette souveraineté dans la mesure où la construction européenne l’exige : mais seulement dans la mesure d’une telle exigence, et pas plus loin.
Les Eurosceptiques reprochent à la Communauté de porter atteinte à la souveraineté nationale; et il faut reconnaître que l’appel au sentiment nationaliste des citoyens recueille beaucoup d’échos, surtout dans les moments de difficultés économiques et sociales, car chacun à tendance à accuser l’étranger d’être à l’origine de ces difficultés ou au moins de les aggraver. Quand on examine les critiques que les Eurosceptiques adressent à la Communauté en se plaçant sur le plan de la souveraineté nationale, il faut constater que ces critiques sont parfaitement fondées. Pour les écarter, bien des Etats ont révisé leur Constitution. Ces révisions ont permis de dégager ce que je considère comme une conception nouvelle, plus réaliste, de la souveraineté. Bien naturellement, une conciliation a été recherchée entre cette conception nouvelle de la souveraineté nationale et l’activité des Communautés.
Je voudrais, dans une première partie, reprendre les critiques à la Communauté Européenne au nom de la souveraineté nationale: elles sont quatre, que je développerai successivement, en tenant compte tout au long de mon exposé de la décision rendue le 12 octobre 1993 par la deuxième chambre de la Cour constitutionnelle de la République fédérale d’Allemagne, car cette décision a pris à bras le corps la notion de souveraineté. Elle l’a fait d’ailleurs d’une façon particulièrement intéressante, en utilisant l’article 38 de la Loi fondamentale pour la RFA; cet article 38 garantit au citoyen allemand le droit subjectif de participer à l’élection des députés du Bundestag. Pour la Cour, cet article établit le principe démocratique: ce sont les citoyens qui décident! Et puisque ce sont les citoyens allemands qui décident de leur propre destin, on ne peut pas les priver de ce pouvoir de souveraineté. C’est un peu ce qui se dégage de la décision de la Cour de Karlsruhe et nous verrons comment cette décision se place dans le fonctionnement de la Communauté européenne.