Le présent numéro des Cahiers juridiques « Le médecin devant la loi pénale » est écrit par Jean Pradel.

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Introduction

Le thème du médecin face au droit pénal n’est pas neuf, loin de là. Mais il se renouvelle sans cesse. D’abord à cause de l’évolution des idées : le recul du fatalisme devant la maladie, sentiment qui créait une sorte de « non-droit », la libéralisation des mœurs, le souci grandissant de se faire indemniser en cas de faute médicale… Ensuite en raison des progrès de la technique qui permet aujourd’hui de pratiquer des interven­tions que l’on n’eut même pas envisagé voici quelques décennies.

Au vrai, certaines situations ne posent pas de difficultés majeures. On admettra que le médecin pratiquant une intervention transsexuelle tombe sous le coup de l’incrimination de violences. Et le médecin qui procède à un avortement en dehors des conditions mises à l’interruption de grossesse dans les dix premières semaines est passible d’une peine de police, non des peines prévues par l’article 317 C.P. pour avortement.

Plus délicate déjà est l’hypothèse de la chirurgie esthétique. Mais la jurisprudence autorise l’intervention à finalité esthétique si elle n’est pas dangereuse et si elle n’est pas disproportionnée avec le but re­cherché.

En revanche, dans la plupart des autres situations, l’hésitation est presque toujours permise. Les textes en effet sont généraux. Rédigés à l’intention de l’homme « ordinaire », qui est un profane, ils ne s’appliquent pas sans grincements au médecin qui est un technicien. Tout le droit pénal du médecin, et même tout le droit médical, est au confluent de deux humanismes, celui de l’homme quelconque et celui du médecin. Sans doute vaut-il mieux que les textes ne soient pas trop précis afin que puisse être possible une adaptation cas par cas et au gré de l’évolution. Mais c’est justement cet effort d’adaptation qui pose difficulté.

Or cette adaptation est rendue malaisée par le double visage du mé­decin. D’un côté, il est un soignant. A cet égard, son image est à la fois divine et diabolique car il soigne les corps et les âmes – Paracelse était médecin et magicien – et parce que soignant, il doit tout guérir. S’il échoue, il est diable. On le révère et on le punit. On conteste donc vo­lontiers le pouvoir médical. Plais d’un autre côté, le médecin est déten­teur de secrets individuels ou de famille. Il est donc guetté par la jus­tice, toujours à l’affût de renseignements dont elle ne peut pas se passer. De cette double nature du médecin, il résulte que c’est tout le droit pé­nal qui est intéressé, de forme aussi bien que de fond. Il doit être amé­nagé en fonction de ce personnage, véritable Janus bifrons, à la fois thérapeute (I) et sachant (II).