Le droit à la réputation et à l’honneur en Allemagne. Un envahissement du droit public dans le droit privé sur invitation

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Auteurs / Autoren:CLASSEN, CLAUS DIETER
Source / Fundstelle:Éditions Panthéon-Assas
Année / Jahr:2021
Localisation / Standort:in Gilles J. Gugliemi (dir.), Les mutations de la liberté d'expression en droit français et étranger, pp.87-100
Catégorie / Kategorie:Droit constitutionnel, Procédure constitutionnelle
Si en Allemagne comme ailleurs, les règles du droit ordinaire régissant la portée de la liberté d’opinion dans les relations entre personnes privées sont fortement imprégnées par le droit constitutionnel, il y a une spécificité en ce qui concerne le droit à la réputation et à l’honneur. Dans ce domaine, l’envahissement du droit public dans le droit privé a eu lieu sur invitation des tribunaux ordinaires. En outre, cet envahissement ne se limite pas au droit matériel, laissant son application aux tribunaux ordinaires comme c’est le cas en France. Grâce au recours constitutionnel individuel, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a le dernier mot même en ce qui concerne l’application des règles constitutionnelles dans des cas concrets – ce qui, de toute évidence, soulève la question de la répartition des compétences entre Cour constitutionnelle et tribunaux ordinaires. Longtemps, le droit à la réputation et à l’honneur n’a joué pratiquement aucun rôle en droit civil allemand. C’est d’ailleurs la raison principale de l’évolution entreprise par Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof), c’est-à-dire la Cour suprême en matières civiles et pénales. Cette évolution date de 1954, peu après l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale (23 mai 1949). La Cour fédérale de justice a alors choisi de se référer au droit constitutionnel pour développer un droit à la réputation et à l’honneur, qualifié, de manière générique, de droit de la personnalité. Elle a proposé cette évolution avant même que la Cour constitutionnelle ne se penche elle-même sur la détermination épineuse du rôle du droit constitutionnel dans les relations entre personnes privées (I.). Le droit à l’honneur, composante du droit général de la personnalité garanti par la combinaison de l’art. 1 al. 1 et l’art. 2 al. 1 LF, peut, à l’heure actuelle, être invoqué à la fois devant les tribunaux ordinaires et devant la Cour constitutionnelle fédérale. Pour cette raison, avant de traiter le droit matériel, il faut d’abord parler un peu de la répartition des compétences entre les tribunaux ordinaires et la Cour constitutionnelle fédérale (II.).

L’arrêt Lüth de la Cour constitutionnelle fédérale allemande. Un tournant historique pour la conception des droits fondamentaux à partir de la liberté d’expression

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Auteurs / Autoren:GAILLET, AURORE
Source / Fundstelle:Éditions Panthéon-Assas
Année / Jahr:2021
Localisation / Standort:in Gilles J. Gugliemi, Les mutations de la liberté d'expression en droit français et étranger, pp. 26-42
Catégorie / Kategorie:Droit constitutionnel, Procédure constitutionnelle
 Les faits de l’affaire Lüth rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 15 janvier 1958 soulignent tant l’importance du « désir collectif de refoulement » – et l’aspiration concomitante à la « normalisation » de la vie quotidienne – que la marque indélébile du national-socialisme pour l’histoire allemande. À l’origine de l’affaire se trouve un appel au boycott lancé par Erich Lüth, à l’occasion de l’ouverture de la «semaine du film allemand » (Woche des deutschen Films) le 21 septembre 1950. Le directeur du service de presse de la ville de Hambourg manifeste ce faisant, à titre individuel cependant, son indignation face au choix de présenter en avant-première le nouveau film du régisseur Veit Harlan (Unsterbliche Geliebte – L’amante immortelle), en dépit de la triste notoriété de son auteur, associé à son film de propagande antisémite Le juif Süss (1940). Contesté en justice par les sociétés de production cinématographique concernées, l’appel au boycott est jugé «contraire aux bonnes mœurs», sur le fondement du § 826 du Code civil allemand (BGB). Lüth se voit imposer d’y mettre fin. Sa défense, fondée sur le « droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion », garanti par l’article 5 al. 1 de a Loi fondamentale allemande, est écartée, les droits fondamentaux ne valant classiquement pas pour les rapports entre personnes privées. La formation d’un recours constitutionnel individuel contre le jugement du tribunal civil de Hambourg permettra précisément à la Cour constitutionnelle fédérale de revenir sur cette interprétation. Sept ans après la formation du recours, la Première chambre de la Cour (Erster Senat) reconnaît le caractère fondé du recours et ouvre la porte à « l’innovation la plus spectaculaire du droit public allemand après 1945». L’arrêt Lüth peut ainsi être analysé comme un « tournant historique » dans au moins deux directions. Il faut d’abord comprendre comment, en posant une théorie des droits fondamentaux à partir de la liberté d’expression (I), la Cour constitutionnelle fédérale a établi les bases d’une évolution décisive pour le système juridique et juridictionnel allemand (II). L’accent mis sur les éléments quelque peu dépassés ou datés de la décision engagera ensuite à présenter quelques pistes d’actualisation de la «dogmatique» issue de la jurisprudence Lüth (III).

Gouvernement et liberté d’expression. Propos sur la jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle fédérale

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Auteurs / Autoren:COSSALTER, PHILIPPE
Source / Fundstelle:Éditions Panthéon-Assas
Année / Jahr:2021
Localisation / Standort:in Gilles J. Gugliemi (dir.), Les mutations de la liberté d'expression en droit français et étranger, pp.103-114
Catégorie / Kategorie:Droit constitutionnel, droit politique, Procédure constitutionnelle
La jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle fédérale est la base des développements consacrés à la liberté d'expression sous l'aspect particulier de son exercice par des acteurs politiques. Si le thème peut être présenté de manière structurée en s'appuyant sur le droit allemand, ce n'est guère le cas s'agissant du droit français. Cependant, le 17 mai 2019 un jugement du Tribunal de grande instance de Paris a débouté deux députés communistes ayant attrait la société Twitter. L'objectif du recours était de démontrer l'inutilité de la loi n°2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information. En vertu de l'art. L.163-2 du Code électoral français "[p]endant les trois mois précédant le premier jour du mois d'élections [...] lorsque des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le bi Le ministre de l'Intérieur français avait twitté une information relative à une agression des personnels de l'hôpital de la Pitié Salpêtrière. Cette information s'est révélée fausse. Le juge des référés rejette une demande de retrait du tweet du ministre, eu égard notamment au fait que "si le tweet a pu employer des termes exagérés [...] il n'a pas occulté le débat, puisqu'il a été immédiatement contesté, que de nombreux articles de presse écrite ou Internet" ont indique que les faits ne s'étaient pas déroulés de la manière exposée par le ministre. Cette affaire française montre que la liberté d'expression des membres du gouvernement peut être encadrée, mais par des voies détournées et principalement sur le fondement du Code électoral. Quant à la garantie de la liberté d'expression au bénéfice du gouvernement, elle ne semble pas avoir fait l'objet d'une consécration en tant que telle. Aux termes de l’article 5 de la Loi fondamentale, «chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, par l’écrit et par l’image, et de s’informer sans entraves aux sources qui sont accessibles à tous. […] Ces droits trouvent leurs limites dans les prescriptions des lois générales". politiques ont une importance et des missions particulières. Leur assise textuelle est l’article 21 de la Loi fondamentale disposant que « les partis concourent à la formation de la volonté politique du peuple». En tant que maillon intermédiaire dans la chaîne de formation de la volonté politique, situé entre la société civile et l’État, les partis politiques jouissent pleinement de la liberté d’expression. Le gouvernement «pour le peuple» réalisé par le moyen d’élections et le pouvoir d’État exercé par des organes spéciaux, investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire supposent l’existence de formations politiques représentant la volonté du peuple se trouvant dans la capacité de l’exprimer de manière suffisamment fidèle et complète. Si un parti candidat qui n’a pas de fonction gouvernementale peut librement s’exprimer afin de défendre son programme politique et convaincre le plus grand nombre d’électeurs, la question de l’étendue et de l’intensité de la liberté d’expression d’un parti ayant déjà accédé aux responsabilités gouvernementales est épineuse. Les membres du gouvernement bénéficient, en tant que membres d’un parti, de la liberté d’expression en ce qu’ils participent comme les autres partis politiques à la «pré-formation de la volonté politique» (I). Mais le risque de domination des partis de gouvernement sur les partis d’opposition tempère le principe d’égalité des chances dans la compétition politique, ce qui réduit grandement le droit de riposte du gouvernement (II).

Le covid-19 et le droit public allemand

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Auteurs / Autoren:KORDEVA, MARIA; COSSALTER, PHILIPPE
Revue / Zeitschrift:Revue française de droit administratif, n°4, pp. 661-671
Année / Jahr:2020
Localisation / Standort:Revue française de droit administratif
Catégorie / Kategorie:Droit administratif, Droit constitutionnel
La République fédérale d'Allemagne, longtemps restée "un pays sans catastrophes", n'était pas vraiment préparée à affronter la pandémie qui a balayé le monde et le continent européen au printemps 2020. La définition de la notion de pandémie peut représenter un "défi" pour les juristes, qui doivent puiser dans l'épidémiologie pour trouver des éléments probants de détermination de cet état sanitaire singulier. Les plans pandémiques allemands sont confectionnés en lien avec les planifications de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Ils n'ont pas de force juridique obligatoire et sont devenus, surtout concernant la majorité des plans des Länder, complètement anachroniques. La Loi fondamentale allemande ne propose pas, dans son arsenal normatif, des dispositions spécifiques permettant de mettre en oeuvre un état d'exception adapté à la situation sanitaire résultant de la vague épidémique de coronavirus. Contrairement à la France, l'Allemagne n'a pas de prime abord sombré dans l'inflation normative. Le 25 mars 2020 le Bundestag a établi, conformément à la nouvelle version du paragraphe 5 de la loi sur les maladies infectieuses transmissibles chez l'être humain, "l'état épidémique de portée nationale". Les dispositions permettant la mise en oeuvre de la politique sanitaire sont le paragraphe 28, alinéa 1er, concernant les mesures de protection en cas de détection de personnes malades, contagieuses ou porteuses d'une maladie transmissible et le paragraphe 32 relatif à l'édiction de règlements par les Länder afin de prendre des mesures adaptées. Le problème principal que pose cette réglementation réside en la confrontation entre deux masses de droits constitutionnellement protégés: les libertés individuelles et collectives doivent être sacrifiées sur l'autel de l'intégrité physique de la population tout en prenant en compte le principe de proportionnalité des mesures prises par les autorités fédérales ou régionales. Cette mise en balance devient d'une difficulté inextricable dans le cas de l'épidémie de coronavirus qui est caractérisée par l'incertitude du risque. La tâche du juge est plus difficile qu'à l'ordinaire car il doit apprécier les restrictions apportées à l'exercice des droits fondamentaux sans pour autant empiéter sur le champ politique, sans effectuer un contrôle de l'opportunité des décisions prises par les autorités. Traduction en langue française de la loi sur la prévention et la lutte contre les maladies infectieuses humaines: https://www.bijus.eu/?p=13318

Jurisprudence de la Cour administrative fédérale d’Allemagne. L’office du juge administratif dans la détermination et l’interprétation du droit national et européen

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Auteurs / Autoren:KRAFT, INGO
Revue / Zeitschrift:Revue française de droit administratif, n°3, pp. 548-554
Année / Jahr:2020
Localisation / Standort:Revue française de droit administratif
Catégorie / Kategorie:Droit administratif, Droit comparé, Droit constitutionnel, Droit de l'Union Européenne, Procédure administrative
Le droit procédural n'est pas une fin en soi. Il permet de garantir le respect des droits des parties à l'instance mais également de s'assurer de la bonne compréhension des faits pertinents par le juge afin que le droit matériel y afférent soit correctement appliqué aux faits établis. La distinction entre établissement des faits et application du droit est commune à tous les codes de procédure dans le monde. Le présent article porte sur la détermination de la règle de droit applicable. La thèse selon laquelle le principe iura novit curia serait un bien commun de la pensée juridique de l'Europe continentale - contrairement aux pays de common law - est trop générale. S'agissant du droit procédural allemand, elle est en principe exacte, mais le juge administratif français - contrairement à son collègue allemand - statue, avant tout, au regard des moyens des parties, à l'exception des moyens d'ordre public qu'il doit soulever d'office. Si, selon le droit procédural allemand, le principe iura novit curia s'applique sans restriction dans la procédure en première instance, en appel ou en cassation quant au droit allemand, il en va naturellement de même pour les normes de droit international public ou le droit de l'Union européenne, contrairement à la pratique du Conseil d'Etat français qui examine uniquement les traités ou accords internationaux ou le droit de l'Union sur un grief d'une partie.