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Source / Fundstelle:IN: Revue internationale de droit comparé, 2016, n°2, p. 550-552
Revue / Zeitschrift:Revue internationale de droit comparé
Année / Jahr:2016
Catégorie / Kategorie:Droit constitutionnel, Droit des finances publiques et fiscalité
Mots clef / Schlagworte:ALLEMAGNE, CONVENTION FISCALE, Primauté d'application, TRAITE INTERNATIONAL

       En 1985, l'Allemagne a conclu avec la Turquie une convention qui prévoyait que les rémunérations perçues en Turquie par des personnes assujetties à l'impôt sur le revenu en Allemagne n'étaient pas prises en compte dans le calcul de l'assiette de cet impôt.

      Une modification de la loi sur l'impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz) intervenue en 2003 a toutefois exigé que les foyers fiscaux qui se prévalent du régime d'une convention fiscale bilatérale visant à prévenir les doubles impositions, apportent la preuve que les revenus perçus ont bien été imposés par l'autre Etat partie. Les requérants, un couple résidant en Allemagne et percevant une partie de ses revenus en Turquie, n'avaient pas satisfait à cette condition et avaient donc été imposés par l'administration allemande pour les sommes perçues en Turquie. Ils avaient contesté leur imposition, en faisant valoir que la loi de modification de l'impôt était contraire à la convention fiscale germano-turque. La Cour fédérale des finances (Bundesfinanzhof), saisie en appel, a renvoyé l'affaire devant la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) en l'interrogeant sur la constitutionnalité de la disposition de la loi nationale qui dérogeait à la convention bilatérale.

      Pour la Cour constitutionnelle, la loi de modifrication de l'impôt litigieuse est conforme à la Constitution, quand bien  même elle contreviendrait à la convention fiscale.

      Se livrant à l'exégèse de l'article 59 al. 2 de la Loi fondamentale (Grundgesetz) qui permet l'introduction des traités dans l'ordre interne, la Cour rappelle qu'en application de cette disposition, les traités internationaux occupent le même rang que des lois fédérales dans la hiérarchie des normes, sauf à ce que d'autres dispositions constitutionnelles en décident autrement. Elle note, en revanche, que les principes généraux du droit international ont, de par la constitution, une valeur supérieure aux lois internes. la Cour estime à cet égard que le principe général du droit international selon lequel les traités obligent ceux qui les concluent (pacta sunt servanda) ne s'applique qu'à la relation qu'entretient l'Etat avec un autre Etat partie et ne fournit aucune indication quant aux effets que doivent produire en droit interne les normes conventionnelles et au rang qu'elles doivent y occuper.

     La Cour considère également, que les dispositions de l'article 59 al.2 ne font pas échec au principe selon lequel la loi postérieure peut déroger à la loi antérieure. Elle en déduit qu'une loi postérieure peut déroger à un traité antérieur, puisque celui-ci n'a que valeur législative. La Cour souligne que l'interprétation inverse irait à l'encontre de l'exigence constitutionnelle de démocratie ainsi que du principe dit " de la discontinuité parlermentaire" (parlamentarische Diskontinuität) qui postule qu'en démocratie, l'exercice de la souveraineté est limité dans le temps (Herrschaft auf Zeit). En application de ce principe, le législateur ne peut, par avance, faire obstacle à des modifications de textes susceptibles d'intervenir durant des législatures futures. N'étant, à la différence des autres pouvoirs, limité que par les seules prescriptions constitutionnelles, il doit avoir la liberté de modifier et de renouveler le paysage législatif. Par extension, l'existence d'un traité international ne saurait figer le droit en empêchant le parlement d'y déroger ultérieurement. Or, le législateur n'étant pas compétent pour dénoncer une convention internationale, il doit, pour le moins, disposer de la faculté de s'écarter d'obligations conventionnelles qui entrent dans son champ de compétence.

      La Cour est d'avis que le droit international n'exclut pas que des normes contraires à des traités produisent des effets en droit interne. Si selon l'article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, les traités internationaux doivent être appliqués de bonne foi, l'article 27 de ce texte précise que cette disposition vise seulement à exclure toute justification d'un manquement à l'échelle internationale en prenant pour prétexte une norme nationale. La Cour estime que la liberté qu'elle reconnaît au législateur ne porte pas non plus atteinte au principe de rang constitutionnel "d'attitude constructive à l'égard du droit international" (Völkerrechtsfreundlichkeit). Revenant sur la finalité de ce principe, la Cour précise qu'il s'agit avant tout d'une méthode d'interprétation du droit interne destinée à s'assurer que celui-ci ne diverge pas radicalement des obligations assumées par l'Allemagne dans le cadre de la coopération internationale et qui, en pratique, impose de choisir entre plusieurs interprétations du droit interne celle qui est la plus favorable au droit international. Il ne s'ensuit pas que la Völkerrechtsfreundlichkeit entraîne  une obligation constitutionnelle absolue d'exécuter tous les traités internationaux ni qu'elle ne permette au législateur de n'y déroger que dans des cas exceptionnels, c'est-à-dire lorsque cette application contreviendrait à des droits fondamentaux. Si le but de la Loi fondamentale est bien de permettre à l'Allemagne de s'intégrer dans la communauté des Etats libres et pacifiques, ceci ne doit pas se faire au prix du sacrifice de sa souveraineté, laquelle réside, en dernière analyse, dans ses dispositions constitutionnelles.

     Enfin, la Cour infirme le raisonnement de la Cour fédérale des finances, selon lequel le retrait unilatéral d'une convention fiscale irait à l'encontre du principe de l'Etat de droit. Ce principe au contenu très large ne pose ni interdiction, ni exigences précises. Il doit être interprété en prenant en compte l'ensemble des dispositions de la Loi fondamentale et en particulier ses dispositions expresses telle l'exigence de respect du principe démocratie. Il ne peut donc découler du principe de l'Etat de droit que des conventions internationales puissent prévaloir sur la loi interne, même de manière limitée.

    Il résulte de ces éléments, selon la Cour, que le législateur pouvait à bon droit contrevenir au contenu de la convention fiscale, l'abroger ou bien le modifier par une loi, sans porter atteinte à la constitution.