Données bibliographiques / Bibliografische DatenPrinter
Auteurs / Autoren:GAILLET, AURORE
Source / Fundstelle:Éditions Panthéon-Assas
Année / Jahr:2021
Localisation / Standort:in Gilles J. Gugliemi, Les mutations de la liberté d'expression en droit français et étranger, pp. 26-42
Catégorie / Kategorie:Droit constitutionnel, Procédure constitutionnelle
 Les faits de l’affaire Lüth rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 15 janvier 1958 soulignent tant l’importance du « désir collectif de refoulement » – et l’aspiration concomitante à la « normalisation » de la vie quotidienne – que la marque indélébile du national-socialisme pour l’histoire allemande. À l’origine de l’affaire se trouve un appel au boycott lancé par Erich Lüth, à l’occasion de l’ouverture de la «semaine du film allemand » (Woche des deutschen Films) le 21 septembre 1950. Le directeur du service de presse de la ville de Hambourg manifeste ce faisant, à titre individuel cependant, son indignation face au choix de présenter en avant-première le nouveau film du régisseur Veit Harlan (Unsterbliche Geliebte – L’amante immortelle), en dépit de la triste notoriété de son auteur, associé à son film de propagande antisémite Le juif Süss (1940). Contesté en justice par les sociétés de production cinématographique concernées, l’appel au boycott est jugé «contraire aux bonnes mœurs», sur le fondement du § 826 du Code civil allemand (BGB). Lüth se voit imposer d’y mettre fin. Sa défense, fondée sur le « droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion », garanti par l’article 5 al. 1 de a Loi fondamentale allemande, est écartée, les droits fondamentaux ne valant classiquement pas pour les rapports entre personnes privées. La formation d’un recours constitutionnel individuel contre le jugement du tribunal civil de Hambourg permettra précisément à la Cour constitutionnelle fédérale de revenir sur cette interprétation. Sept ans après la formation du recours, la Première chambre de la Cour (Erster Senat) reconnaît le caractère fondé du recours et ouvre la porte à « l’innovation la plus spectaculaire du droit public allemand après 1945». L’arrêt Lüth peut ainsi être analysé comme un « tournant historique » dans au moins deux directions. Il faut d’abord comprendre comment, en posant une théorie des droits fondamentaux à partir de la liberté d’expression (I), la Cour constitutionnelle fédérale a établi les bases d’une évolution décisive pour le système juridique et juridictionnel allemand (II). L’accent mis sur les éléments quelque peu dépassés ou datés de la décision engagera ensuite à présenter quelques pistes d’actualisation de la «dogmatique» issue de la jurisprudence Lüth (III).