Par Audrey Schlegel, Collaboratrice scientifique à la Chaire de droit public français de l’Université de la Sarre

Le 11 septembre 2013, le Tribunal Administratif Fédéral allemand (Bundesverwaltungsgericht- BVerwG) a rejeté le recours d´une élève de confessions musulmane contre le jugement du Tribuanl de Kassel qui lui prescrivait d’assister aux cours de natations scolaires mixtes. L’élève soutenait que le port d’une tenue de bain serait incompatible avec ses convictions religieuses.

Le Tribunal Administratif Fédéral considère que le port d’une tenue de bain appelée  appelée „maillot de bain islamique“ ou  „burkini“ permettait de concilier obligations scolaires et croyances religieuses et de participer aux enseignements sportifs même mixtes.

En l’espèce, la requérante était une élève de confession musulmane, à qui son école avait refusé une exemption de l’obligation d’assiduité au cours de natation. Elle avait demandé à en être dispensée au motif que les obligations vestimentaires islamiques ne permettaient pas que des garçon et des filles participent conjointement à l´enseignement de la natation.

Cette décision, largement relayée par les médias allemands, est sans précédent dans la jurisprudence administrative allemande. Elle illustre le conflit entre l’obligation constitutionnelle faite à l’Etat dans l’art. 7 al. 1 de la Constitution allemande (Grundgesetz) de pourvoir à l’éducation – dont le pendant est un droit à l’éducation- et la liberté de croyance ancrée à l’art. 4 al. 1 GG. Ces droit fondamentaux font naître deux obligations de même nature et d’égale importance, qu’il convient de concilier.

Les requérants ont invoqué une violation de leur liberté de croyance au motif, d´une part, que la tenue de bain féminine serait irréconciliable avec les principes de la religion musulmane et d´autre part, que le fait de voir ses camarades masculins en maillot de bain serait incompatible avec la foi de la jeune fille.

L’examen d´une atteinte à un droit fondamental s´effectue traditionnellement en plusieurs temps. Les juridictions allemandes recherchent dans un premier temps si un droit fondamental est atteint. Dans un second temps, le tribunal examine si un motif légitime justifie l’atteinte à ce droit. Dans un troisième temps le juge contrôle si l’atteinte légitime est proportionnée.

Appliquant cette matrice classique de contrôle, le Tribunal Administratif Fédéral relève dans un premier temps le fait que l’obligation d’assiduité en cours de natation constitue une atteinte à la liberté de croyance de la requérante et de ses parents. Dans un second temps le Tribunal examine si cette atteinte peut trouver une justification dans une loi ou dans la Constitution.

Si un tel but légitime pouvant justifier une telle atteinte existe, il faut encore que son application soit proportionelle.

L´examen de la proportionnalité d´une atteinte à un droit fondamental nécessite que celle-ci soit un moyen approprié de promouvoir le but légitime,  qu´il soit le moyen le moins contraignant de promouvoir ce but et que l’atteinte soit proportionnelle au sens strict, c´est-à-dire que l´intérêt du droit promu soit supérieur au droit auquel il est porté atteinte. Si ces trois conditions sont remplies, l’atteinte au droit fondamental envisagé est légitime.

Bien que la liberté de croyance protégée par l’art. 4 al. 1 de la Constitution soit garantie sans réserves, c´est- à-dire sans qu´une loi puisse venir lui porter atteinte, son application doit néanmoins rester compatible avec les autres droits fondamentaux (§ 9 de la décision). En l’occurrence, cette liberté est de même rang que la mission d´éducation et de formation de l´Etat posée à l´art. 7 al. 1 GG en application de la jurisprudence constitutionnelle (n°12).

La Cour administrative de Kassel avait rappelé dans sa décision contestée, que selon la jurisprudence constitutionnelle, l’objectif d’éducation comprend une finalité d’intégration, laquelle ne peut être réalisée que sur une base de tolérance.

L’école doit respecter le principe de liberté religieuse de 4 al. 1er GG (n°16), mais ce conflit entre devoir d’éducation et liberté de croyance ne peut pas être systématiquement résolu par l’exemption de l’obligations scolaire d’assiduité (n°17).

Le Tribunal Administratif Fédéral indique que l´exemption ne peut être qu´une solution exceptionnelle en présence d´une entrave particulièrement grave à la liberté religieuse (n°21). En l’espèce la question posée touche un grand nombre d’élèves et semble de portée générale.

Le Tribunal relève que la requérante prenait part aux cours d’autres disciplines sportives en portant une tenue adaptée en fonction des prescriptions vestimentaires musulmanes, qui cependant n’évitait pas que les contours de son corps soient distinguables lors de certains mouvements. Pourtant, la requérante ne voyait aucune objection à prendre part aux cours de sport dans cette tenue (n°25), et elle n’a pas devant le Tribunal formulé d’observations rendant vraisemblable la nécessité de différiencier la natation des autres pratiques sportives.

Cependant, la requérante soutenait que le port du „burkini“ pourrait mener à la stigmatisation religieuse.

Le Tribunal lui oppose deux arguments: d’une part, il considère que le Burkini est déjà suffisamment répandu y compris dans la société allemande. D’autre part, les juges estiment que si l’élève exige de l’école la prise en compte de ses particularités religieuses, elle s’expose ainsi d’elle-même à une perception particulière de la part des autres (n°26).

Ainsi, le burkini permet, d´après le Tribunal Administratif Fédéral, de concilier pratiques sportive et religieuses. Il n’est donc pas nécessaire d’exonérer les élèves musulmanes de leur obligation d’assiduité au cours de natation au motif que la tenue de bain n’est pas compatible avec les exigences de leur foi.

Le second motif, selon lequel il ne serait pas conforme aux préceptes religieux de l´élève, de se trouver en présence d´élèves de sexe masculin en tenue de bain, a été ecarté par les juges.   Le Tribunal commence par souligner que la tenue de bain masculine formait une pratique largement répandue, et ce également en-dehors de l’école. Or il ne saurait être attendu de l’école qu’elle aille jusqu’à faire disparaitre des pans entiers de la réalité sociale entre ses murs, au nom de l’obligation de respecter la liberté de croyance. Par ailleurs, ceci conduirait à l’échec de la fonction d’intégration reconnue à l’enseignement scolaire.

Une exemption de l’obligation d’assister au cours de natation ne serait envisageable que si la situation menait à nier dans son principe la conception religieuse du monde de la requérante. En l’occurence le Tribunal n´a pas pu relever une telle gravité de l´atteinte (N° 30).

 

Arrêt du 11 septembre 2013

Instances précédentes :

–           Cour administrative de Kassel, 7 A 1590/12- arrêt du 28 septembre 2012

–           Tribunal administratif de Francfort-sur-le-Main, 5 K 3954/11.F- jugement du 26 avril 2012 »

Disponibles en ligne :

–          Décision du Tribunal Administratif Fédéral (en allemand) : http://www.bverwg.de/entscheidungen/entscheidung.php?ent=110913U6C25.12.0

–          Communiqué de presse (en allemand) : http://www.bverwg.de/presse/pressemitteilungen/pressemitteilung.php?jahr=2013&nr=63