Données bibliographiques / Bibliografische DatenPrinter
Auteurs / Autoren:JOUANJAN, OLIVIER
Revue / Zeitschrift:Droits, 2018/1, n°67, p.169-195
Année / Jahr:2019
Localisation / Standort:Droits
Catégorie / Kategorie:Droit pénal, Philosophie du droit, pratique du droit, Procédure pénale
Après Justifier l’injustifiable (PUF, 2017), la réflexion sur le « droit » des espaces concentrationnaires constitue la suite indispensable à la construction de l’image globale du « droit » nazi. Le « droit » des camps ne peut être pensé sans que l’on reconnaisse au préalable la qualité d’« étranger à la communauté ». La conséquence de la reconnaissance de la qualité juridique d’« étranger à la communauté » s’impose : tout « étranger à la communauté » pourra être placé d’office, par mesure de police, en centre de rétention ou de réhabilitation. L’Allemagne nazie, écrit l’auteur, « n’est plus qu’un immense camp de concentration virtuel qui, à chaque instant, devient réel pour celui que son comportement ou sa simple décision d’esprit désignent comme ‘étranger à la communauté’ ». Les camps de concentration apparaissent dès 1933. Les décisions de rétention de protection (Schutzhaft), d’ordre administratif, prises par l’autorité policière étaient discrétionnaires, arbitraires même, et ne faisaient l’objet d’aucun contrôle juridictionnel. La rétention de protection pouvait être prononcée par la Gestapo à l’encontre d’un individu en dehors de toute action pénale et sans qu’un juge intervienne dans la procédure, ou bien à l’encontre d’un inculpé pour lequel le juge n’a prononcé aucune mesure de « détention préventive », ou encore à l’encontre qui, passé en jugement, a bénéficié d’une décision de relaxe et d’acquittement, à l’encontre enfin d’un condamné qui a purgé sa peine d’emprisonnement. La détention de prévention s’est ainsi transformée en une sorte de « correction » des décisions judiciaires. L’autorité de la chose jugée n’avait aucune valeur pour la police de la SS. La compétence illimitée de la Gestapo de décider d’interner un individu dans un camp de concentration s’inscrivait dans le cadre normatif nazi tout en n’étant soumise à aucune procédure particulière. « L’interné d’un camp était-il […] dans le droit ou en son dehors ? » La compétence aux contours illimités signifiait pour l’individu « un indéfinissable du droit ». Mais être « étranger à la communauté », c’est ne pas être dans l’ordre éthique de la communauté, c’est ne pas être dans l’ordre concret de cette communauté, il était hors du droit. Le camp de concentration est le « destin » de ce « hors-la-loi », ces espaces apparaissent comme « l’ordre normal de l’individu anormal ». Les espaces concentrationnaires sont « complément logique » du droit nazi, ils sont « la vraie frontière de la communauté populaire ». Le « droit » des camps n’était que l’arbitraire et la violence déguisés. Le mot « droit » n’était plus que le signe linguistique de la violence. L’« inversion sémantique » désignait le droit des camps et le droit nazi tout entier qui n’est rien d’autre qu’une « comédie de droit ». La dichotomie qui existait entre l’auto-administration juive et le droit « de ceux qui détenaient la puissance » s’imposant à tout le Ghetto n’était que fiction, car l’auto-administration ne représentait qu’un « pouvoir concédé par la SS » qui disposait d’une compétence souveraine en dehors et à l’intérieur de ces espaces où toute règle faisait immanquablement partie de cette « farce juridique ». Le droit du camp n’est en aucun cas un « minimum éthique ». Il était au contraire une mécanique détruisant la possibilité même d’une vie éthique minimale en faisant vivre les détenus « hors de toute norme ». La « normalité fantasmée » ne peut dès lors être qualifiée de « normativité » juridique.